Sándor Márai

Publié le par accusare

En fin de compte, pour la consommation obligatoire du vin je peux prophétiser un bel avenir. Parce que le vin, mes semblables, est une telle chose… – du ventre, il n’en a pas seulement besoin, mais encore aussi de l’âme, de la propagande, il n’en a pas seulement besoin, mais encore aussi du cœur, et avec tout cela on a besoin d’en avoir une vision mûre du monde, du vin, du bon et aussi d’un peu de soda. Et le Hongrois réuni ces trois conditions. Grâce à Dieu !

in Le nécessaire-vin

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Belle journée à Eger, dans la cave du maire où, à la lueur des bougies nous cherchons les tonneaux de vieux Bikavèr. Autour du pressoir des arbres fruitiers se dressent, toute une forêt : pommiers lourds de trois à quatre cents kilos de Jonathan.  Quand la nuit tombe, l’aïeul joue du violon, toujours à la lueur des bougies nous nous asseyons sous le portique ; poulet pané froid, pain blanc et vin rouge, nous restons silencieux. Le coteau est empli de l’odeur des vignes et des fruits.

Les Russes, ce matin, occupaient Smolensk.

 

in Journal 1943

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Je veux encore écrire des vers, au moins une douzaine. Sur quoi ? Sur la mort, sur l’amour, sur l’autonme, sur l’incompréhensible et le sublime. Ensuite je veux aller à Rome en voiture, la mienne. Á Rome,  je veux boire du vin couleur d’or, et à l’aube, quand la pluie lave les platanes, dormir calmement.

in Journal 1944

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Valéry fait remarquer que la métamorphose du Vin et du Pain – grand symbole du christianisme, ne pouvait naître que sur les terres fertiles de la culture méditerranéenne où le vin et le pain existaient de fait. C’est pourquoi dans les pays où l’on ne mange pas de pain et l’on ne boit pas de vin, où l’on se nourrit de riz ou encore l’on distille le fruit du bananier, ne pouvait advenir le christianisme car la terre ne produisait pas ses accessoires.

(…) 

Si Valéry a raison avec le vin et le pain comme avec les accessoires hypothétiques du christianisme, dans ce cas pour le paganisme des allemands cela montre bien qu’ils ne vivent pas en général du pain et du vin. Ils mangent au lieu du pain plutôt des patates et au lieu du vin ils boivent de la bière. Sans doute ce mode de vie n’est pas très chrétien.

in Journal 1946

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Pour la résistance physique – marcher pendant plusieurs heures, porter une lourde charge… – je suis bien plus capable maintenant, à l’âge de quarante huit ans, comme j’’étais capable dans ma jeunesse. Mais je suis difficilement capable de veiller tard, vin, nicotine. Si je ne me couche pas à dix heures, sans vin, sans cigarette en trop, le lendemain jusqu’à midi je suis avachi. Qu’on ne se trompe pas, je vieilli.

in Journal 1947 

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Si un soir j’oublie le vin quelle différence quand je travaille ! Plus consciemment, plus facilement ! Mais alors cette ivresse âpre vaut-elle la peine que je sois fatigué le lendemain et de n’être pas sûr de moi ? Hé bien sûr qu’elle en vaut la peine !

in Journal 1948

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Mon cœur a des ratés, il bat paresseusement, il est fatigué. Je ne l’admire pas. J’admire qu’il ait pu résister à tout cela – quoi exactement ? La cigarette, le vin, la littérature.

(…) 

Dans la lumière automnale, le petit déjeuner, le déjeuner sur la terraza, au-dessus de la mer et au-dessus des jardins suspendus piqués par le froid : le vin rouge, le plateau de fruits, la lumière dense, tout cela est une fête. Tout – tel qu’il est – horrible et désespéré, mais en même temps incompréhensible, un merveilleux cadeau et une fête.

(…)

Comme si tout était proche de ce vino di Pucino…Ces vins italiens sont vraiment merveilleux, soyeux, légers, et pourtant enivrants, tous volcaniques ; fait simplement d’alcool, d’ensoleillement et irradiés par la roche volcanique - selon Pline, Livia, la mère de Tibère, en bue jusqu’à l’âge de quatre-vingt-six ans. J’en bois modérément, jamais plus de huit décilitres le soir, au plus un litre, et je dors légèrement, me réveille les idées claires. En Italie je n’ai jamais eu jusqu’à présent la gueule de bois. C’est ça la boisson originelle, celle de Noé et des Grecs, le lait maternel de la terre, immaculée. 

in Journal 1949

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Horrible est le monde, partout où je regarde, il est horrible. Il n’y a encore que l’Italie et parfois un homme ; et les livres, les vers, la musique. Le vin. La mer.  « Il n’y a plus que cela ». Tout le reste est horrible.

(…) 

Durant deux jours pas du vin. Je me trouve en pleine forme. Une bonne chose quand on ne boit pas de vin. Quand on en boit, il y a seulement un mieux.

(…)

On ne peut pas écrire sans vin. Mais enivrer, on ne peut pas écrire non plus. On ne peut écrire qu’en état d’extase et de transe, mais sobrement.

in Journal 1951

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Carpe Diem. Les enfants, la nature, les poèmes, la musique, le vin, la jouissance qui n’est pas diluée par du sentimentalisme. Rien d’autre.

in Journal 1953

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Après les tentatives difficiles et malsaines de boire du vin – auxquelles je me risquais depuis deux ans avec les piquettes françaises et italiennes – hier j’ai ouvert une bouteille de riesling californien. Ce vin n’était pas mauvais. Il y avait en lui quelque application modeste, être vin – comme généralement chez les américains qui sont très redevables, si on reconnait leur cuisine, leur vin, et leur littérature. Et cette cuisine, ce vin ne sont pas mauvais. Leur littérature n’est pas encore une littérature. Autrement qu’un voyage intérieur, hier soir avec cette bouteille de vin je me suis approché de l’Amérique.

in Journal 1954

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Le pain quotidien, peut-être que bon an mal an je suis capable de le gagner ici – mais bien plus difficilement pour le vin quotidien. Et le pain ne vaut rien sans le vin, puisque je suis catholique.

in Journal 1955

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Avec quelques livres, avec quelques heures de promenade, avec quotidiennement six décilitres de vin léger, avec quelques disques et finalement après minuit un somnifère : le jour passe. Et ce qui restait de la vie.

in Journal 1955

 

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Qu’est-ce que j’aimerai ? J’aimerai, si la Hongrie avait la mer, m’asseoir au bord de cette mer à quatre heures du matin, au-dessous des cyprès et des acacias boule, avec Verlaine et Vörösmarty, enivré de vin de Badacsony, fasciné par l’aube et par la mer.

Soupir, 4 heures du matin, extrait du volume « les quatre saisons ».

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Hier soir j’ai bu du vin allemand. Son goût est frais et clair. Il ne berce pas, seulement il enseigne plutôt. L’ivresse qu’il produit excite le doute et l’inventaire. Notre vin dit « étroudis-toi, oublie », Le vin allemand : « reviens à toi, souviens-toi ».

Les vins étrangers, extrait du volume « les quatre saisons ».

 


Traduction Kelemen Gàbor - fF

 


 

 

Publié dans Márai Sándor

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